Jean-Joseph Expilly

L'abbé Jean-Joseph Expilly (°1719 à St Rémy-de-Provence, +1793 en Italie) est l'auteur de plusieurs ouvrages historiques et géographiques.
Il rédige le Dictionnaire géographique, historique et politique des Gaules et de France en 6 volumes publiés à partir de 1762. Quelques pages du 5ème volume (1768) sont consacrées à Penmarc'h.


Dictionnaire géographique, historique et politique des Gaules et de France


Dictionnaire géographique, historique et politique des Gaules et de France, volume 5. Pages 616 à 618.


PENNEMARCK , en Bretagne , diocèse & recette de Quimper, parlement & intendance de Rennes, bailliage de Pont-l'Abbé. On y compte 4. feux un tiers & un quart de feu , y compris ceux de Treoultré. Cette paroisse est sur l'Océan, à la pointe d'une péninsule, à 3 l. S. O. de Pont-l'Abbé , & 6. S. O. de Quimper. 

Au commencement de janvier 1767, il fut fait les questions & les observations suivantes au sujet de Pennemarck. » C'est une petite paroisse de l'évêché de Cornouailles ( de Quimper), qui peut contenir un terrein d'environ une lieue & demie de circuit. Ce terrein , l'un des plus fertiles de toute la province ( de Bretagne ) en froment, orge, pois, oignons, & c'est couvert de mazières , de maisons construites en très-belle pierre de taille, de moulins-à-vent, dont deux servent actuellement d'anciennes églises, dont les ruines font encore voir qu'on y avoit prodigué les richesses. Enfin, ce petit terrein, suivant la tradition commune du pays, contenoit 6.000 hommes en état de porter les armes. Aujourd'hui, dans cette paroisse, uniquement connue par les rochers appellés torches, il n'y a pas 180 hommes, à compter depuis l'âge de 16 jusqu'à 60 ans, y compris même les matelots & les gens classés, qui s'y trouvent en assez petit nombre. Quelle étoit donc la cause d'une population si brillante, & quelle est celle qui l'a fait disparoitre ? Le terrein autrefois fertile l'est encore aujourd'hui. Y avoit-il quelque branche de commerce ? Si elle étoit la source de cette population, ne pourroit-on pas, en découvrant l'objet de ce commerce, y rétablir l'abondance & la population, & employer par conséquent les mêmes moyens qui lui avoient anciennement donné quelque célébrité.» 

Voici la réponse à ces questions, données par M. Girard, au commencement de février de la même année 1767. 

» Sans vous parler actuellement, monsîeur, des ports de Penmarch, d'Audierne ni de celui de la prétendue ville d'Is, je me bornerai à vous donner des preuves de l'ancienne population de Penmarch, & du grand commerce de poisson qui s'y faisoit. Vous trouverez dans quelques-unes de ces preuves les causes qui ont fait cesser le commerce & cette population. « 

» Tout le monde sait que le commerce de poisson a toujours été dans cet endroit le principal objet de commerce, sur-tout depuis le treizième siècle. On voit qu'en 1266, il se faisoit des sociétés pour la pêche du hareng & du maquereau. J'en trouve la preuve dans les anciens jugements de la mer, art. 26, imprimés à la page 87. des constitutions de Bretagne. « 

» Une ordonnance de 1404 qu'on lit dans le même volume, page 18, nous apprend que le commerce s'étoit beaucoup augmenté en Bretagne. Le texte de l'article 2 de cette ancienne ordonnance est digne de votre curiosité : » Comme » nous avons su que plusieurs s'avancent à tirer & à mettre hors de notre pays, par mer, par terre, » plusieurs vivres, victuailles, & autres choses nécessaires pour la vie & nécessité des hommes, comme bêtes d'aumaille, ouais, moutons, poulailles, porcs, beurres, œufs, graines, cuirs, oeuvre de cordonnerie, fil, lin, chanvre, & autres plusîeurs espèces de denrées, vivres & victuailles qui sont nécessaires pour la provision de notre pays ; à quoi tirer & mettre hors, plusieurs couratiers, regratiers se sont aucunement appliqués par convoitise & avarice & par la grande avarice, & par la grande abondance de la pecune & de la monnoie qu'ils ont, & du grand gain & proufit qu'ils en trouvent en ce faisant ; & sont presque tous les gens du plat-pays, marchands, & délaissent leurs labours à faire quelles choses sont cause & moyen de la chereté qui est en notre pays, pourquoi nous desirons à ce pourvoir. ; faisons expresse défense à tous, & chacun nos sujets, de non tirer, & ne mettre hors par eux, ne par autres, ne bailler à étrangers, pour les tirer, ne mettre hors nuls ne aucuns desdits vivres, denrées, ne autres choses quelconques, sauf seulement les vins , poissons, fourments, segles & seaux, & sous le congié & licence de nous. Délibéré par notre grand conseil,&c. « 

» La seule conséquence que je tirerai de ce texte précieux est que dès le quatorzième siècle il se faisoit en Bretagne un commerce de poissons & de grains, & que ce commerce étoit favorisé, ainsi que celui du vin que produit la haute Bretagne ; mais on remarquera en même-temps, que la trop grande exportation des fils, lins & chanvres, de laquelle on se plaint dans cette ancienne ordonnance, suppose que nous n'avions dans ces temps-là qu'un petit nombre de manufactures de toiles, en comparaison des tanneries qui dès-lors paroissoient s'établir en plusieurs endroits, puisqu'on faisoit dans quelques-uns de nos ports le commerce des cuirs ouvrés & non-ouvrés. «  

» Voilà, monsîeur, où se bornent, mes recherches naturelles touchant nos anciennes branches de commerce en Bretagne, ne voulant pas copier ici tout ce que disent nos historiens à cet égard ; j'aurai peut-être occasion d'en parler plus amplement, lorsque je ferai la description des ports de Penmarch , d'Audierne, & de celui de l'ancienne ville d'Is. «  

» Je reviens au commerce & à la population de Penmarch, qui sont les seuls objets de votre lettre. Je présume qu'il étoit considérable avant l'an 1400. puisqu'en 140 six mille Anglois, sous la conduite de Guillaume de Villefort, crurent devoir s'arrêter à Penmarch, où ils ravagèrent & pillèrent tout ce qu'ils trouvèrent. Dom Lobinau rapporte cette descente à la page 502 de son histoire de Bretagne, tome 1, mais, ni lui, ni les historiens anglois ne disent pas un mot du commerce & du nombre des habitants de Penmarch. » 

» II paroit cependant que, dans l'intervalle de 1402 à 1556, Penmarch se rétablit , puisque, dans cette même année 1556, le roi Henri II permit aux habitants de ce territoire de tirer un papegault, & accorda à celui qui l'abattroit , le débit de quarante-cinq tonneaux de vin , débit qui n'avoit pas été accordé aux plus grandes villes de la province. ( Voyez l'arrêt du conseil du 27. juillet 1671, pag. 44, édition in-4°, au rapport de M. Boucherat , qui a fait réduire ce débit, à 20 tonneaux seulement. «  

» L'établissement de ce papegault fut cause que dès 1595 il y avoit à Penmarch deux mil cinq cents Arquebusiers ; ce qui est prouvé par l'histoire manuscrite des guerres de la ligue. C'est par ce manuscrit, qui rapporte le pillage de Penmarch par le célèbre Fontenelle, que je trouve la preuve du commerce, de la population & de la richesse de ce territoire. Voici l'extrait de cette citation : 
» Le butin de l'ennemi fut grand , car tous les plus-riches dudit lieu , dont y avoit grand nombre, se confiant en leur courage, en nombre gens de navire, & en leurs forts ( ces forts n'étoient autre que les deux églises où ils s'étoient retranchés ) n'auroient daignés se retirer ailleurs comme plusieurs autres avoient fait, entr'autres, ceux d'Audierne & de tout le Capsisun, à Brest, si bien qu'ils perdirent tout ce qu'ils avoient, & sur-tout grande quantité de navires , bateaux & barques , plus de trois cents de tout volume, esquels Fontenelle ayant fait charger le butin, le fit vendre à son fort de Douarnenez. ( C'étoit à l'isle de Tristent, près de Douarnenez, que ce fort étoit bâti). Je n'ai su, ajoute l'historien contemporain ( chanoine & magistrat ), je n'ai su le nombre des morts de Penmarch , tant y a que la plus grande tuerie fut en l'église, qui faisoit comme le dongeon de leur fort, &c. Cette même relation se trouve à la page 141 de l'histoire de la ligue de l'abbé Desfontaine. « 

» A l'égard de ce qui précède & suit cette relation, il paroit que les habitants de Penmarch furent surpris dans leur retranchement & presque tous égorgés. Voilà sans doute la cause de ces ruines qui subsistent encore aujourd'hui, & d'une dépopulation, qui ne laisse que cinquante ou quatre-vingt pêcheurs, où il y en a eu jadis près de trois mille. «  

» Ces ruines subsistantes, & que j'ai eu aussi la curiosité d'aller voir, semblent confirmer mon manuscrit. Mais outre ces monuments parlans , il en est deux autres aussi convaincans. Au petit port de Quilfinez, qui n'est pas loin de celui de Penmarch, il existoit encore un quai à ciment, où l'on voit encore quelques têtes d'aneaux de bronze ; & sur le portail de l'église paroissiale de Penmarch, (église construite long-temps avant la descente des Anglois en 1402. ) on voit gravés un grand nombre de bâtiments & de poissons de toutes grandeurs. Voilà donc, monsieur, l'histoire hiéroglifique dePenmarch. C'est la pêche qui jadis a rendu Penmarch si riche & si peuplé. Il ne s'agit donc aujourd'hui que de rétablir cette pêche, qui sera d'autant plus lucrative, que la consommation & l'exportation du poisson doit être double de ce qu'elles ont pu être avant la découverte de l'Amérique. Nos titres, il est vrai , ne parlant que de merlus & de juliennes; mais, seroit-il vrai que le banc de morues que j'ai déjà indiqué ( n° 17 & 32 de la gazette du commerce, année 1765. ) n'existât pas ; les merlus, les juliennes, les rais & autres poissons qui étendent sur nos côtes, donneront des profits assez grands pour dédommager ceux qui établiront des pêcheries & des salaisons. Dans une autre lettre , je vous dirai quels sont les lieux les plus propres à faire ces établissements ; & en vous décrivant les avantages ou désavantages des ports de Penmarch, de Quilfinez, d'Audierne, & de l'Isle-Saint, je me permettrai peut-être quelques réflexions historiques sur la position, sur l'étendue & sur le sort de la fameuse ville d'Is ; mais je ne le ferai qu'autant qu'elles contribueront à prouver combien il est essentiel de bien peupler nos côtes, et de multiplier nos pêcheries. «